« C'était en 1911. Je ne l'oublierai pas tant que je vivrai. J'avais seize ans. Nous étions huit dans notre famille. L'un de nos frères était infirme de naissance. Il ne pouvait jamais se tenir debout, ou plutôt il ne le pouvait qu'avec les genoux pliés. Infirme comme il l'était, il ne pouvait avoir qu'un emploi sédentaire. Je m'en souviens très bien, mon frère avait vingt-huit ans, il avait toujours sa place accoutumée près de la fenêtre, où il faisait le travail qu'on lui apportait. Je devrais ajouter que mon frère n'avait jamais pu apprendre de métier et qu'il avait aussi été retardé à l'école, parce qu'il ne pouvait pas y aller aussi régulièrement que les autres garçons. Il avait été traîné d'un médecin à l'autre dans son enfance et avait séjourné plus d'une fois à l'hôpital, malheureusement sans amélioration de son état. Mais il y a une chose que je dois noter : mon frère lisait très souvent la Bible et, étant très pieux, il s'était, avec grande patience, résigné à son sort. Il se peut qu'il ait trouvé un réconfort dans la lecture de la Bible simplement parce qu'il ne pouvait pas partager les plaisirs des personnes en bonne santé. A cette époque-là, mes parents tenaient une auberge et, un jour, une troupe d'acteurs prit des chambres chez nous. Ces gens du théâtre restèrent pendant quelques jours et firent connaissance avec mon frère. Ils furent bons pour lui, lui apportèrent bien des délicatesses. La dernière soirée qu'ils passèrent chez nous, ils organisèrent une fête d'adieux ; les acteurs ne se préoccupèrent pas des frais, ils voulaient simplement que cela dure toute la nuit. Ce soir-là, alors qu'il était déjà tard, près de minuit, ils se souvinrent de mon frère, qui, naturellement, dormait depuis longtemps, car il avait l'habitude de se coucher de bonne heure. Ils décidèrent d'aller le voir et de lui offrir le verre de l'adieu. Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils ne voulaient certainement rien faire de mal, c'était juste de la gaieté, lorsque les quatre hommes du groupe montèrent l'escalier et entrèrent dans la chambre de mon frère. Une de mes soeurs et moi-même nous étions jointes à cette visite nocturne. Qu'arriva-t-il ? Comme il dormait, mon frère ne remarqua même pas les visiteurs, mais ceux-ci devinrent muets quand ils le virent. Ils pâlirent, leurs cheveux se dressèrent sur leurs têtes et, déconcertés, ils quittèrent la pièce sur la pointe des pieds.
» Qu'avaient-ils vu ? Mon frère dormait paisiblement, et, entourant sa tête, il y avait une lumière brillante, si éblouissante que nous la vîmes tous et personne n'osa s'approcher de lui. Nous partîmes tous silencieusement. Après, les témoins furent très calmes et osèrent à peine élever la voix. Toute leur gaieté avait disparu, et ils ne pouvaient rien faire d'autre que rester assis et parler avec un sourd respect de ce qu'ils avaient vu. Ils disaient que nous avions un saint dans la famille. Je ne sais pas. Je n'ai jamais vu d'auréole sauf sur des images, mais je peux imaginer que ce que j'avais vu autour de la tête de mon frère était quelque chose de ce genre et, en tout cas, j'en garde encore le souvenir vivace. A dater de ce moment, je ressentis une sorte de crainte sacrée vis-à-vis de mon frère, quoique personne n'en parlât jamais plus. Voilà donc ce qu'il en est ; nous avons, tous les six, vu la lumière. »
Aniela Jaffé 'Apparitions'
Merci pour cette belle histoire Orion, je partage
