LE TOTEM d’IRLANDE 2
Le vieil Oengus, comme tout le monde l’appelait affectueusement, était un homme passionné, curieux et respectueux des lois universelles. C’était l’un des meilleurs luthiers d’Irlande et ses harpes font merveille dans le monde entier. Quand il partit pour d’autres horizons il ne formula qu’une seule volonté : Que sa maison soit habitée par une personne qui accepterait de jouer, le plus souvent possible, de sa harpe celtique, dont il jouait lui-même chaque soir et qu’il avait réalisé spécialement dans du bois de pommier, il y avait mis tout son cœur et son immense savoir faire. Désirant ainsi continuer à perpétuer une atmosphère chaleureuse dans sa demeure qu’il aimait tant pour y avoir réalisé un décor particulièrement soigné où toutes les boiseries, du sol au plafond, les escaliers, ainsi que les portes et fenêtres étaient des œuvres sculptées et ciselées avec une grande précision. Pour lui cette maison avait une âme avec laquelle il s’entretenait, s’enquérant de chacun de ses désirs et s’efforçant de les réaliser avec le plus de minutie possible, comme ce tablier de cheminée qu’il mit plusieurs mois à confectionner selon les indications de sa merveilleuse chaumière.
Oengus avait un ami, Luchta, qui sculptait de drôles de petites œuvres qu’il appelait totems, renouant ainsi avec une ancienne tradition venue de la mythologie nordique où il est dit que la race humaine descendait de deux troncs d’arbres que les fils de Bor façonnèrent et à qui ils donnèrent le souffle, la vie, l’intelligence, et les cinq sens. Luchta les imprégnait de magie bénéfique en s’entretenant avec eux pendant leur création. Un jour, lors d’une de ses nombreuses visites qu’il leurs faisait régulièrement, il en offrit un à Oengus et Étaine, sculpté dans une bûche en chêne, représentant symboliquement un visage avec, en incrustation, des pierres semi- précieuses, notamment pour la bouche et les yeux mais aussi pour orner l’énigmatique mandala situé sur le dessus de son crâne. Ensuite il leur donna des recommandations et leur enseigna un processus initiatique qu’Oengus et Étaine mirent un point d’honneur à accomplir chaque jour. Adeptes de cette philosophie, Oengus et Étaine vivaient dans une profonde et totale sérénité, ayant apparemment trouvés l’une des clefs du bonheur.
Par la suite, Milgrine, intégra le petit groupe amateur nommé « TOTEM » composé de Morrigan la chanteuse qui joue aussi du bodhran, son mari Michael du violon ou fiddle (violon populaire pour musique traditionnelle), des deux cousins de Morrigan, fils d’Oengus et Étaine, Manus qui joue de la cornemuse (Uilleann pipe), son épouse Agate de l’accordéon diatonique et Sean de la flute. Ils se produisent fréquemment dans les pubs irlandais en particulier au Foley’s Pub à Sligo. Ses journées sont bien remplies entre ses promenades, ses écrits, les concerts, ses recherches et les répétitions du groupe dans l’atelier des garçons où une pièce avait été aménagée spécialement à cet effet.
Milgrine se souviendra longtemps du jour de son emménagement où tous les membres du groupe vinrent pour l’aider à son installation. Manus arriva accompagné de son épouse Agate qui était également chargée des relations publiques du groupe, tous les deux avaient le don de diffuser de la bonne humeur en toutes circonstances. L’ambiance joyeuse rendit la tâche aisée et accomplie en des instants trop vite passés, pendant lesquelles Milgrine put faire plus ample connaissance de ses nouveaux amis notamment Sean, un charmant jeune homme d’humeur espiègle qui se montrait particulièrement prévenant, entreprenant mais respectueux auprès de la nouvelle arrivée. Morrigan et son mari Michael furent étonnamment efficaces au milieu des chants, des rires et des plaisanteries. Le point fort de la journée vint quand les participants firent la pendaison de crémaillère.
Milgrine avait tout prévu sauf quand le repas fut terminé et que ses nouveaux amis, d’un air entendu, lui demandèrent de leur jouer un morceau sur la harpe que Oengus avait crée selon les conseils de Luchta. Devant tant de gentillesse comment aurait-elle pu refuser ? Aussi après un moment d’hésitation dû à sa timidité et à l’émotion, elle se mit à interpréter un de ses morceaux traditionnel favori. Mais dès qu’elle posa ses doigts fins sur les cordes ceux-ci s’animèrent d’une dextérité merveilleuse et un fort courant de bonheur l’envahit complètement.
Ce qui arriva ensuite tint de la pure magie comme si elle ne contrôlait plus rien. Un grand panneau en bois travaillé, qui formait la hotte de la cheminée s’ouvrit en deux parties laissant apparaitre, comme porté sur des ailes de fées, le Totem enchanté dont les yeux de jade et la bouche garnie de pierres de cristal de roche lançaient une lumière verte d’une douceur incomparable qui emplit toute la pièce. En chaque cellule des personnes présentes, la musique vibrait en des ondes de bonheur à nulles autres pareilles. Une voix angélique, inaudible, simplement transmise à l’esprit et au cœur, apporta à chacun un message le concernant personnellement. Puis ensuite la voix se fit entendre par tous.
« Je vous ai tous réunis ici, selon un plan universel qui a été élaboré avant que le monde ne soit créé. Vous êtes tous de formation artistique, vos activités réciproques doivent engendrer et diffuser des ondes de beauté conçues pour élever l’état de conscience de nombreuses personnes. Travailler le bois ou le verre pour fabriquer des instruments ou des objets de décorations, selon la méthode spirituelle, de jouer tous ensemble diffusant des sons si harmonieux qu’apprécient tellement les danseurs et les spectateurs, en apportant tant de joie est un ravissement pour l’âme. L’écriture et la peinture véhiculent les grands principes de la spiritualité, répandant les merveilles qui sont dans vos cœurs. Pour relier toutes ces activités il fallait des personnes expertes en imagination, car c’est un art très important aussi. En laissant la Présence s’exprimer à travers vos occupations, vous envoyez des énergies positives d’une force inimaginable qui participent à dissoudre l’illusion de toutes les apparences négatives dans le Cosmos.
Par ma voix c’est l’Univers qui vous parle, car rien ne peut être séparé du Tout. Inconsciemment vous avez choisi de diffuser, à travers vos œuvres et la manière de les réaliser, ce qui vous a été apporté dans vos expériences respectives. Cela de votre propre volonté étant donné que rien ne peut vous être imposé, c’est toujours votre choix qui prédomine et vous pouvez en changer à chaque instant. Il est nécessaire de diffuser toutes ces valeurs d’amour, de beauté et d’harmonie pour révéler aux êtres humains qui sommeillent encore dans les aspects illusoires de la matérialité, qu’il y a une voie royale menant au bonheur par la contemplation et le ressenti dans la joie et la sérénité de ces merveilleux états de conscience. Pour réussir dans votre entreprise vous recevrez des indications et des aides que vous ne pouvez pas encore imaginer mais n’oubliez pas que Tout est toujours en chacun de vous. »
Quand Milgrine arriva à la fin de son morceau, le Totem se retira lentement et le panneau se referma, laissant chaque participant rentrer chez lui avec dans le cœur un grand sentiment de plénitude.
Ce n’est que deux jours plus tard, que Milgrine obtint de plus amples précisions sur les événements de cette soirée inoubliable, quand Morrigan vint lui rendre visite. Bien qu’elle s’en soit entretenue avec Hadmuc, qui lui a rappelé qu’il n’y avait pas de hasard et que tout est toujours en parfaite harmonie, même si certaines fois cela prend des chemins qui nous semblent détournés. Que si elle n’avait pas eu son accident, et ce qui en suivit quand elle fit l’étrange découverte qui modifia sa vie, elle ne serait certainement pas venue dans cette magnifique région vivre une merveilleuse aventure unique.
Milgrine : « Je suis heureuse de te voir, tu vas peut-être pouvoir m’en dire un peu plus sur ce qui c’est passé l’autre soir. »
Morrigan : « Oui, je me doutais bien que tout cela ait pu te paraitre bien étrange. Il y a de nombreuses années maintenant mon oncle Oengus rencontrait régulièrement son ami Luchta, qui venait souvent pour le simple plaisir de s’entretenir avec ses amis, car ma tante Étaine était, elle aussi, très instruite dans le chamanisme, le druidisme, les sciences de la spiritualité et tout ce qui avait un rapport avec la Nature dans l’Univers. Ils s’entendaient à merveille étant tous les trois sur un même chemin de penser. Luchta travaillait ses totems selon un procédé spirituel à base d’intentions, de prières, et d’amour dans un état d’esprit méditatif et particulièrement serein en constante relation avec la Présence. Quand il offrit ce totem à mon oncle et à ma tante il leur enseignât comment s’en occuper et aussi la manière de façonner la harpe qui l’accompagnerait si harmonieusement, en la laissant exprimer l’âme qui était en elle.
Un événement comme celui qui s’est produit l’autre soir n’est pas très fréquent, il faut beaucoup d’éléments pour que cela se réalise. C’est le Totem lui-même qui décide de ses apparitions, qui se produisent généralement quand la harpe merveilleuse diffuse ses douces mélodies en harmonie avec le Tout. Le Totem se manifeste souvent pour délivrer un message important pour chacun, qui n’est entendu et comprit que par celui auquel il est adressé, pouvant aussi être audible par tous selon les circonstances. C’est lui qui nous a raconté comment mon oncle et ma tante ont vécu leur transition dans le bonheur.»
Milgrine : « Et est-ce que ces messages vous ont apportés un quelconque changement ou une aide particulière ? »
Morrigan : « Ce que je peux te dire c’est que chacun de nous et tous ceux qui ont pu l’entendre, ont tous vu leur vie transformée. Pour ma part, quand je n’étais encore qu’une petite fille, un soir je me suis introduite, furtivement, chez mon oncle et ma tante. Je croyais naïvement qu’ils ignoraient ma présence, quand mon oncle commença à jouer de la harpe, à ma grande surprise, le Totem sortit de la cheminée et dit d’un ton solennel avec dans la voix un mélange d’ironie et d’amusement « je crois que nous avons parmi nous une gentille petite friponne qui croit que nous ignorons sa présence. » Alors ma tante vint me tirer tendrement de ma cachette avec un grand sourire et me plaça sur le canapé, entre elle et mes deux cousins, mettant son bras rassurant autour de mes épaules sous le regard amusé de mon oncle et des deux garçons. La voix reprit en moi, sans paroles audibles, accompagnée par la délicieuse musique et la magnifique lumière verte. « Si tu es ici ce soir, Morrigan, c’est parce que je t’ai attirée. Il y a en toi un secret que tu as oublié qui est bien enfoui au fond de toi, et tu dois le retrouver. Pour cela évite tout jugement, observe, aime et cherche ce qu’il veut te révéler, tu en seras surprise. » Pendant toutes ces dernières années, le Totem me délivrait toujours le même message avec des indications pour l’orientation de ma vie, je me suis sentie vraiment soutenue et guidée dans toutes mes voies car il m’apportait la solution en réponse à mes questions dans tout ce que je devais entreprendre. Je n’ai toujours pas trouvé le véritable secret, mais je ne désespère pas d’y arriver un jour. »
Milgrine : « C’est curieux car moi aussi j’ai reçue le même message. Je dois avouer que tout cela ne m’étonne qu’à moitié, la vie nous réserve tellement de surprises quand nous savons y ouvrir notre esprit. Mais j’ai quand même été étonnée par la connaissance intime du Totem par rapport à mes secrets, mes désirs, mes intentions et ma vie bien plus en profondeur que moi-même. Ce qui est certain c’est que nous avons une aventure commune à accomplir, que nous avons apparemment choisie volontairement, et nous n’en connaissons pas encore vraiment tous les détails. C’est si excitant »
Morrigan : « Tu as parfaitement raison, nous nous réunissons souvent pour méditer et connaitre ce plan qui semble pouvoir nous donner des possibilités infinies dans tous les domaines. Mais il semble que tu devais d’abord nous rejoindre avant d’aller plus loin dans notre destinée. Quand j’ai rencontré mon mari, Michael, le Totem m’avait dit, quelque temps auparavant, de prêter attention au message de Jonathan et de lui faire entière confiance. Un matin je reçus un coup de téléphone imprévu du directeur de la galerie qui s’occupe de vendre mes toiles me demandant de bien vouloir venir le jour même à Dublin pour rencontrer un acheteur potentiel qui voulait, avant de repartir le soir même pour son pays, faire ma connaissance. Je pris le train et un charmant jeune homme vint s’assoir en face de moi. Tu devines de qui il s’agissait, pendant le trajet il me sourit et nous engageâmes la conversation, il me dit qu’il habitait non loin de Drumcliff et qu’il allait lui aussi à Dublin pour aller voir un ami qui devait partir s’installer en Australie la semaine suivante avec sa femme, mais comme ils bénéficiaient d’un désistement, leur départ fût avancé. Michael voulait absolument, en souvenir de leur amitié, leur offrir un livre qu’il avait énormément apprécié et qui intéresserait indubitablement ses amis. Après nos occupations respectives nous avions convenu de faire le retour ensemble, il me raccompagna jusque chez moi c’est là qu’il me révéla que le livre qu’il avait offert à ses amis n’était autre que le merveilleux « JONATHAN Livingston le goéland » de Richard Bach. Tu connais la suite. Comme Michael était passionné du travail du verre sous toutes ces formes, après notre mariage, oncle Oengus lui proposa de venir s’installer dans son vaste atelier avec Sean qui continuait la confection des harpes comme son père et Manus qui s'est spécialisé dans la lutherie de violons, c'est d'ailleurs lui qui offrit à Michael ceux sur lesquels il joue pendant nos représentations en groupe. L’entente dans l’atelier est formidable car chacun travaille selon les mêmes principes que leur a enseignés l’oncle Oengus qui les avait lui-même appris avec sa femme Étaine et son ami Luchta. »
Milgrine : « C’est vraiment une belle histoire, les synchronicités sont étonnantes, aucun auteur ne pourrait imaginer de tels scénarios. Il faut réunir tellement d’éléments différents, que seul le Grand Architecte peut réaliser de tels chefs-d’œuvre.