« Traquer la chose »
A l'université californienne de Berkeley, sur un établi du département de chimie de la taille de deux 4x4, Graham Fleming et ses collègues ont mis en place l'équivalent scientifique d'une sorte de flipper. De nombreux lasers de précision, qui propulsent la lumière à des millions d’un milliardième de seconde, sont placés à divers points stratégiques et orientés sur une course d'obstacles faite de miroirs et de lentilles de verre, eux-mêmes dirigés vers une seule petite boîte noire. Une fois les machines mises en marche, la lumière laser générée par ces appareils ultrarapides va ricocher sur chaque miroir et chaque lentille avant de jaillir dans la boîte pour éclairer son contenu : un minuscule échantillon de bactéries du soufre vertes. La lumière provenant des lasers est cessée imiter le soleil, car ce genre de bactéries est en fait une plante dont elle possède la même capacité extraordinaire de photosynthèse à convertir la lumière solaire en énergie, à l'intérieur de ses cellules.
En observant les moyens par lesquels un organisme rudimentaire vivant capte la puissance du soleil pour la convertir en énergie stockée, Flemming, un chercheur d'origine britannique, espère résoudre le mystère fondamental des plantes : leur efficacité inexorable. Le miracle, ce n’est pas seulement que la plante puisse accomplir cette merveille, mais c’est qu’elle le fasse en utilisant jusqu'au dernier photon qui se trouve sur son chemin.
Même, la machine la plus sophistiquée sur terre ne peut prétendre imiter la production énergétique d'une plante. Toute activité humaine d’équivalence approximative verra diminuer le stockage d'énergie initiale de plus de 20 % lors de la transformation d'un type d'énergie à l’autre. Si les êtres humains pouvaient apprendre à capturer et à transformer l'énergie solaire grâce à une approximation même sommaire de la façon dont les plantes s'y prennent, les besoins futurs de l'humanité en énergie seraient comblés pour toujours.
L’autre aspect du mystère est plus élémentaire : comment un simple système vivant, tel qu'une plante, peut-il générer l'oxygène et les hydrates de carbone de la planète grâce à une réaction fonctionnant avec l'électricité qu'il crée exclusivement par la lumière.
La clé pour étudier ce processus extraordinaire est de suivre le chemin de l'énergie de l'électron dans l'échafaudage protéique de la cellule. Celui-ci connecte les panneaux solaires externes de la bactérie, c'est-à-dire les chlorosomes qui récoltent la lumière du soleil, à des centres de réaction au cœur des cellules, ces minuscules foyers où a lieu le miracle de la conversion.
L'expérimentation de Fleming ne prend qu'une minuscule fraction du temps qu'il faut pour un battement de cils. Dès que la lumière propulsée par les lasers atteint la protéine, elle stimule les électrons et l'énergie qui en résulte doit alors trouver la route la plus directe, le long du minuscule trajet de l'échafaudage protéique, pour arriver aux centres de réaction. C'est une tâche complexe qui demande potentiellement beaucoup de temps, selon la physique conventionnelle, car il existe plusieurs chemins et points d'aboutissement possibles que l'énergie de l'électron doit repérer et rejeter, un par un.
Ce que Fleming a découvert n'est ni plus ni moins qu'une faille gigantesque dans tout l’édifice de la biologie conventionnelle. Plutôt que d'emprunter un seul trajet, l'énergie atteint sa cible en essayant plusieurs routes simultanément. Ce n'est que lorsque la connexion finale est faite et le bout du chemin atteint que l'énergie repère son trajet le plus efficace, rétroactivement, et qu'elle suit cet unique trajet. Il semble que la route optimale ait été choisie en remontant dans le temps, après que toutes les possibilités ont été épuisées. C'est comme une personne perdue dans un labyrinthe avait essayé tous les chemins possibles en même temps, et une fois le bon trajet enfin découvert avait éliminé toute trace de ses tentatives.
La découverte de Fleming est une réponse totalement inattendue à son interrogation de départ : si la plante est si efficace, c'est parce que l’énergie générée par ses électrons messagers est capable d'occuper plus d’un endroit à la fois.
Fleming est en train de faire quelques-unes des premières explorations dans ce que l'on a appelé la « biologie quantique », en fournissant les premières preuves que la vie sur Terre se conduit selon les lois de la physique quantique, et son expérience est nécessairement grossière. Elle substitue la lumière du laser à la vraie lumière solaire, et est conduite à -203,15 degrés Celsius dans un environnement beaucoup trop froid pour la survie de la plupart des plantes.
Néanmoins, avec sa formation en physique aussi bien qu'en chimie, Fleming se rend compte de l'importance de ce dont il vient d’être témoin. Comme les pionniers de la théorie quantique, le physicien danois Niels Bohr et son brillant protégé, l'Allemand Werner Heisenberg, l'ont découvert dans la première partie du XXème siècle, les particules subatomiques comme les électrons et les photons ne sont
pas encore une
chose réelle. Les atomes ne sont pas de petits systèmes solaires faits de balles de billard, mais plutôt un petit nuage désordonné de probabilité. Ils existent en plusieurs endroits simultanément, dans un état
de pur potentiel ou, comme le disent les physiciens, de « superpositions » : la somme de toutes les probabilités. Une particule subatomique comme celle de la bactérie de Flemming, essaie essentiellement ce trajet-ci et ce trajet-là, en même temps, avant de choisir le trajet optimal pour atteindre le lieu de la réaction.
L’une des conclusions de leur théorie, que l’on appelle l’interprétation de Copenhague, d’après le nom de la vielle où Bohr et Heisenberg ont élaboré pour la première fois les conclusions indéniables de leurs découvertes mathématiques, est l’idée d’indétermination : vous ne pouvez jamais savoir complètement tout sur une particule subatomique. Si vous mesurez, par exemple, l’endroit où elle est, vous ne pouvez pas en même temps déterminer ni où elle va ni à quelle vitesse. Bohr et Heisenberg ont reconnu qu’une particule quantique peut exister à la fois en tant que particule, une chose agglutinée, ressemblant à une balle, et en tant que « fonction d'onde », une grande région aux pourtours indéfinis d'espace et de temps, où la particule peut occuper n'importe quel endroit.
Dans un état quantique, une particule existe en tant qu'ensemble de tous les devenirs possibles, tous en même temps, comme une chaîne de poupées de papier reproduite à l'infini. Un électron existe « probablement » jusqu'à ce que les scientifiques le découvrent et effectuent des mesures. À cet instant, ses états multiples s'effondrent et l'électron s'installe dans un seul état d'être.
Si les résultats de l'expérience de Fleming se confirment — et d'autres scientifiques ont réussi à faire l'expérience sur de vraies plantes à la température ambiante —, cela signifie que le processus le plus fondamental de l'univers, le processus responsable de la vie sur Terre, est régi par un mécanisme qui en fait n'est rien du tout, tout au moins selon notre définition habituelle de ce qu'est une chose. L'électron responsable de la photosynthèse est un feu follet impossible à repérer ou à localiser avec précision. L'expérience de Fleming expose aussi au grand jour une bien plus grande possibilité qui est celle que la vie est créée et maintenue par quelque chose de si éphémère qu'il se peut que nous ne puissions pas identifier ce dont il s'agit réellement, encore moins le localiser avec précision.
Bien que révolutionnaire par ses retombées, la découverte de Graham Fleming n'est pas particulièrement une révélation pour les physiciens quantiques. Beaucoup de chercheurs dans cette discipline ont essayé de détecter, sans succès, ce qu'est la chose : la plus petite chose qui a créé toutes les autres choses du monde. Toutes les suppositions modernes sur notre univers physique reposent sur la croyance que la vie est composée de choses, qui sont elles-mêmes composée', de plus petites choses, et que nous pouvons comprendre les grandes choses en cherchant à découvrir et à nommer les petites choses.
Depuis qu'un physicien musulman nommé Ibn al-Haytham a élaboré la méthode scientifique il y a plus d'un millier d'années, les scientifiques ont tenté de démonter l'univers comme un vaste poste de radio dont on examinerait les divers composants. Ces cent dernières années environ, ils tentent surtout de localiser les plus minuscules
de ces blocs de construction. En 1909, le prix Nobel de chimie, le Néo-Zélandais Ernest Rutherford, et ses collègues à l'université de Manchester créent le modèle de l'atome de Rutherford, un minuscule système solaire d'électrons bien ordonnés, après avoir découvert ce que d’abord on pensait être son Soleil et l'une des unités les plus petites du monde : le nucléus. Le modèle de Rutherford est mis à mal quand un collègue de Cambridge, le physicien britannique James Chadwick, découvre finalement une particule encore plus petite à l'intérieur du nucléus : le neutron.
Chadwick postulait que les constituants d'un atome — les protons, les électrons et les neutrons — sont les éléments fondamentaux de notre monde ; jusqu'à ce que l'on découvre que, telle une poupée russe dans ces particules il y a encore de plus petites particules.
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