LE RÊVE DANS LA CRÉATION LITTÉRAIRE
Les faisans de Gœthe
Gœthe, tout enfant déjà, était un grand rêveur. Même plus tard, lorsqu'il aimait à faire figure de réaliste, il racontait à ses amis le rêve symbolique des faisans qu'il eut à un tournant de sa vie et qu'il décrit dans son Voyage en Italie.
Pour en saisir la symbolique et mieux le comprendre, il faut savoir que Gœthe, à l'époque, avait trente-six ans et traversait une crise.
Il désirait fuir la monotone vie bourgeoise qu'il menait à Weimar et d'aller puiser en Italie un renouveau d'inspiration poétique.
Mais laissons-lui la parole:
« Je me trouvais dans un canot qui abordait une île verdoyante, célèbre pour ses admirables faisans. Je m'entendis avec les indigènes qui m'apportèrent quelques dépouilles de ces oiseaux splendides que mon rêve avait idéalisés.
Ils avaient de longues queues chatoyantes, pareilles à celles du paon ou de l'oiseau de paradis.
Les bêtes furent amoncelées dans le canot, les têtes à l'intérieur de l'embarcation. Leurs queues pendaient dans l'eau et scintillaient de mille feux sous les rayons du soleil.
Les oiseaux étaient si nombreux que les rameurs eurent peine à reprendre leur place. C'est ainsi que nous franchîmes les flots et regagnâmes la terre ferme.
Je me réjouissais déjà à l'idée de distribuer les splendides animaux en cadeau à mes amis. Finalement, je me retrouvai dans un vaste port où je me perdis entre les nombreux voiliers pour retrouver l'emplacement réservé à mon canot.»
Un an plus tard, au cours de son voyage en Italie, Gœthe se souvient de son beau rêve de 1785. Les beaux oiseaux entrevus en songe sont pour lui l'image de l'inspiration poétique qu'il était aller chercher en Italie.
Il écrit dans son journal: « Le rêve des faisans commence à se réaliser. Mon inspiration renouvelée est comparable au plumage étincelant de ces oiseaux de rêve et j'en prévois le fécond développement. »
Avant d'arriver à Rome, il note: «Je ne souhaite plus rien que d'atterrir au port, dans mon canot plein de faisans, de retrouver mes amis bien portants et pleins de bonne volonté.»
Iphigénie, le Tasse et de nombreux ouvrages que Gœthe écrivit en Italie furent la «cargaison» du canot de faisans. Gœthe, si sensible à tous les secrets de la nature, avait compris le sens symbolique de son rêve. Il lui annonçait une abondante moisson d'impressions poétiques et un renouveau artistique qui se manifesta de 1786 à 1788. Ce fut un Gœthe rajeuni qui revint à Weimar.
Samuel Taylor Coleridge
(1772-1834)
Le poète anglais Samuel Taylor Coleridge raconte qu'un jour il s'endormit à sa table de travail pendant une heure et que plusieurs centaines de vers de son poème Koubla Khan lui apparurent distinctement en rêve.
A son réveil, il saisit une plume, de l'encre et du papier et entreprit la transcription des vers dont il se souvenait avec précision. Mais, au bout d'un quart d'heure il fut interrompu par un visiteur importun et, quand il retourna à son travail, il ne lui resta en mémoire que huit à dix vers épars.
"Tout le reste s'était évanoui comme les images à la surface d'une rivière où l'on a jeté une pierre."
http://www.science-et-magie.com/archives02num/sm55/5511reve.htm