Hibiscus l'Enchanteur
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 "Dernière Visite du Gentleman malade"

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Orion
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Orion


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MessageSujet: "Dernière Visite du Gentleman malade"   "Dernière Visite du Gentleman malade" EmptyJeu 15 Jan - 13:46

"Dernière Visite du Gentleman malade"

par Giovanni Papini



Une expérience artistique du Soi...


Voila une occasion rêvée de montrer comment l'art peut enrichir la science avec son propre langage, sa propre expérience, au sujet d'un phénomène que la psychologie reconnaît pour l'avoir elle-même étudié.
Commençons par citer un rêve célèbre que Jung a fait en 1944. Parmi d’autres références, on peut retrouver ce rêve dans son autobiographie :

«…J’arrivai près d’une petite chapelle, au bord de la route. La porte était entrebâillée et j’entrai. A mon grand étonnement, il n’y avait ni statue de la Vierge, ni crucifix sur l’autel, mais simplement un arrangement floral magnifique. Devant l’autel, sur le sol, je vis, tourné vers moi, un yogi dans la position du lotus, profondément recueilli. En le regardant de plus près, je vis qu’il avait mon visage ; j’en fus stupéfait et effrayé et je me réveillai en pensant : « Ah! Par exemple! Voila celui qui me médite. Il a un rêve, et ce rêve c’est moi. » Je savais que quand il se réveillerait je n’existerais plus. »

Jung poursuit en expliquant son rêve. Pour lui c’est une parabole :
« Mon Soi rentre en médiation, pour ainsi dire comme un yogi, et médite sur ma forme terrestre. »
Il prend forme humaine pour venir dans l’existence à trois dimensions. Le Soi renonçant à l’existence dans l’au-delà assume une attitude religieuse (chapelle). Dans sa forme terrestre, il peut faire l’expérience de ce monde et progresser, dans une conscience accrue, vers sa réalisation.
« La méditation du Yogi "projette" ma réalité empirique. »

Mais pourquoi donc le réveil du Soi provoque-t-il l’anéantissement du Moi? Cette phrase est énigmatique pour qui n'est pas familiarisé avec le concept du Soi. Il s’agit d’une Intuition Originelle, d’un symbole dans toute son ampleur. Rappelons-nous que le Soi contient le Moi, et que c'est de lui que le Moi procède. Comme nous l’avons dis ailleurs, la mort est l’aboutissement de la vie. Or qu'est-ce que la vie si non ce parcours de l'âme sur le chemin de l'individuation? L'individuation est l'entéléchie du Soi, et c'est pourquoi la mort est ici perçue non pas comme une fin, mais comme l'aboutissement suprême. Qui n'a jamais songé ou entendu, à propos d'une personne subitement décédée, quelque chose du genre : « Il a fait ce qu'il avait à faire, il est arrivé au bout de son parcours, donc il est mort... »
La mort est ce point, inadmissible pour la conscience, mais surtout inconcevable pour elle, ce qui provoque de fait le recours au symbole, au mythe. Ici le symbole d'un renversement. Le Soi s'éveille et le Moi s'anéantit. Le point de ce renversement est un espace infinitésimal, mythologique, une conjonction entre la Vie et la Mort, une conjonction quelque part entre vie et mort. Ce moment de la mort est l'expérience mystique ultime, à la fois explosion et concentration infinies (dont on peut imaginer ce que sont les prémices en écoutant le récits des E.M.I.).
Rappelons-nous que le chrétien nommera Dieu son expérience du Soi, et cherchera la voie qui le mènera sur le chemin de Sa grâce. Gardons à l'esprit que le Diable est le versant obscur de cet image divine du Soi, et qu'il est nécessaire à Sa complétude. Le bouddhiste, lui, recherche littéralement l'anéantissement de son ego dans ce qu'il nomme le Nirvana, et nous reconnaissons là aussi l'image de l'extinction d'un Moi illusoire au profit d'une réalité plus grande et transcendante.
Gardons à l'esprit que l'individuation est un processus, un chemin creusé d'embûches que le Soi peut très bien provoquer de son propre chef.
Enfin gardons à l'esprit que l'individuation inclue le monde, et que se rapprocher du Soi, dialoguer avec lui revient également à se rapprocher, à dialoguer avec les autres, qui sont un véritable miroir de nous-même...

Voici donc "La dernière visite du Gentleman malade", qui dans sons langage poétique, nous parle du "Moi et de son intuition du Soi." Laissons parler cette nouvelle, cette oeuvre d'art, avec ses propres mots, sa propre expérience. Laissons-la nous conter l'expérience du Soi, le parcours, les aventures, les méandres, les fascinations, les tortures et la solitude qu'Il nous impose.
Pas de commentaire, pas d'analyse psychologique, et donc pas de psychologisme. Une expérience artistique, immédiate, suffisante, que l'on peut comprendre pour ce qu'elle est, tout simplement :


Au début de l’histoire, le narrateur évoque sa rencontre avec un mystérieux personnage, maladif, sans nom, sans parent, qui survint de nulle part et disparut de même, sans plus d'explication.
L'extrait ci-dessous constitue pratiquement les trois quarts de la nouvelle. Il retrace le discours du mystérieux Gentleman, qui ne fait qu'apparaître au chevet du narrateur au cours des quelques lignes qui précèdent l'extrait, et s’en aller au cours des suivantes...

« Une image de Shakespeare est devenue, à la lettre, tragiquement vraie pour moi : je suis de la même étoffe dont sont faits vos rêves! J’existe parce que quelqu’un me rêve : il est quelqu’un qui dort et rêve, et il me voit agir et vivre et remuer ; en ce moment précis, il rêve que je dis tout ce que je dis. Quand ce quelqu’un a commencé à rêver de moi, j’ai commencé à exister : il lui suffira de se réveiller pour que je cesse d’exister. Je suis son invention, sa création, l’hôte d’une de ses longues imaginations nocturnes. Le rêve de ce quelqu’un est si durable, si intense, que je suis devenu visible même aux hommes qui ne dorment point. Mais le monde des veilles, le monde des réalités concrètes n'est pas le mien. Je me sens si mal à mon aise dans la solidarité vulgaire de votre existence! Ma vie n'est que celle qui s'écoule lentement dans l'âme de mon créateur assoupi...
Et n'allez pas vous figurer que je parle par énigmes et symboles. Ce que je vous dis là n'est que la vérité, la simple et terrible vérité. Cessez donc de dilater vos pupilles de stupéfaction! Ne me regardez plus avec cet air de désarroi apitoyé!
Être l'acteur d'un rêve n'est pas ce qui me déchire le plus. Il y a des poètes qui ont dit que la vie de l'homme n'est que l'ombre d'un songe, il y a des philosophes qui ont avancé que la réalité toute entière n'est qu'hallucination. Alors que moi, je suis hanté par une autre idée : qui est donc ce quelqu'un qui rêve de moi? Qui est-il, cet être que je ne connais pas et de qui je suis la propriété, qui m’a fait surgir soudain des ténèbres de son cerveau fatigué et qui, en se réveillant, m’éteindra comme une flamme brusquement soufflée? Que de journées passées à penser à ce mien maître qui dort, à ce créateur habité par le cours de ma vie éphémère. Grand et Puissant à coup sûr : un maître pour qui nos années ne sont que minutes et qui peut vivre en l’une de ses heures toute l’existence d’un homme, et toute l’histoire de l’humanité en l’une de ses nuits. Ses rêves doivent être si vifs, si forts qu’ils projettent au dehors leurs images de manières à les faire paraître sous forme réelle. Peut-être le monde entier n’est-il que le produit perpétuellement divers de songes produits par des êtres de son espèce et qui se croisent continuellement... Mais je ne veux pas trop généraliser : laissons les métaphysiques aux imprudents! Moi, la certitude affreuse que je suis la créature imaginaire d’un rêveur gigantesque me suffit. Qui est-il donc? Telle est la question qui m’inquiète depuis très longtemps,depuis que j’ai découvert la matière dont je suis fait ; vous comprenez bien l’importance que revêt pour moi ce problème. De la réponse que je serai en mesure de lui donner dépend tout mon sort. Les personnages des songes jouissent d’une très grande liberté, et c’est bien pourquoi ma vie n’est pas tout à fait déterminée par mon origine : elle dépend en grande partie de mon libre arbitre. N’empêche qu’il me faudrait savoir qui est mon rêveur, de sorte que je puisse choisir le style de mon existence. Les premiers temps, j’étais terrorisé à l’idée que le plus petit incident suffirait à le réveiller, donc à m’anéantir : un cri, un bruit, un souffle, et me voilà, d’un coup, rejeté dans le néant. En ce temps-là, je tenais à la vie, et c’est bien pourquoi je me tracassais inutilement pour deviner les goûts et les passions de mon possesseur inconnu : cela, afin de donner à mon existence les attitudes et les comportements qui sauraient lui plaire. Je tremblais à tout instant à l’idée de commettre une action quelconque qui le choquerait, l’effaroucherait, donc l’éveillerait. Pendant quelque temps, je me suis figuré qu’il était une espèce de divinité évangélique paternelle, et c’est bien pourquoi je me suis efforcé de mener la vie la plus vertueuse et la plus sainte. D’autres fois, en revanche, je pensais à quelque héros païen et, couronné de pampres, je chantais des hymnes d’ivrognes et je dansais avec de jeunes nymphes dans les clairières des forêts. Une fois même, j’ai cru participer au rêve de quelque sage sublime et éternel qui aurait réussi à vivre dans un monde spirituel supérieur : pendant des nuits et des nuits, j’ai oeuvré au sujet du nombre des astres, des mesures de l’univers, de la composition des choses existantes.
En fin de compte, j’ai éprouvé lassitude et humiliation en me voyant obligé de servir de spectacle à ce maître inconnu et inconnaissable : je me suis avisé que ce semblant de vie ne méritait pas tant de bassesses, tant de couardises flatteuses. C’est alors que je me suis mis à souhaiter ardemment ce qui me faisait auparavant horreur, je veux dire son réveil. Je me suis efforcé de remplir mon existence de spectacles si horrifiques qu’il finirait bien, dans son effroi, par se réveiller. J’ai tout tenté, tout, pour atteindre le repos de l’annihilation, j’ai tout mis en oeuvre afin d’arrêter cette triste comédie de ma vie fictive, de détruire cette dérisoire larve d’existence qui me fait semblable aux hommes vivants.
Nul crime ne m’a plus été étranger : aucune scélératesse ne m’a été inconnue ; je n’ai pas reculé devant les pires horreurs. J’ai tué en les torturant d’une façon raffinée des vieillards innocents ; j’ai empoisonné les eaux entières des villes et, au même moment, j’ai mis le feu aux chevelures d’une infinité de femmes. J’ai de mes dents rendues sauvages par la volonté de massacrer, mis en pièces tous les enfants que j’ai rencontrés sur mon chemin. La nuit, je recherchais la compagnie des monstres colossaux, noirs et sifflants, que les hommes ne connaissent plus : je participais à d’incroyables équipées de gnomes, de succubes, de korrigans, de fantômes ; du haut d’une montagne, je me ruais dans une vallée nue et bouleversée, entourée de cavernes remplies d’ossements blancs ; et les sorcières m’apprenaient les hurlements des fauves déchaînés qui, la nuit, font frissonner jusqu’aux hommes les plus vaillants. Mais il semble bien que celui qui me retient dans son rêve ne s’épouvante guerre de tout ce qui vous fait trembler, vous, les hommes : soit qu’il trouve son plaisir à voir ce qu’il est de plus affreux, soit qu’il n’en ait cure et qu’il en rie. Jusqu'à ce jour, je n'ai pas réussi à le réveiller, et il me faut continuer à traîner cette existence ignoble, servile et irréelle.
Qui me délivrera donc de mon rêveur? Quand poindra-t-elle, l'aurore qui le ramènera à ses occupations? Quand sonnera la cloche, quand chantera le coq, quand retentiront les voix qui le réveilleront? J’attend depuis si longtemps ma libération! J’attends avec tant d’espérance le dénouement de ce rêve idiot où je joue un rôle si monotone!
Et je me livre présentement à une tentative suprême. A mon rêveur, je dis que je ne suis qu'un rêve : j'entends que lui-même rêve qu'il rêve ; c'est quelque chose qui arrive bien aux hommes, n'est-ce pas? De se réveiller en sursaut en s'avisant qu'ils sont en train de rêver. Voila pourquoi je suis venu vous voir et vous dire ce que je vous ai dit. Je voudrais que celui qui m'a créé s’aperçoive, en ce moment même, que je n'existe guère en tant qu'homme réel : au même instant, je cesserais d'exister en tant qu'image irréelle. Croyez-vous que j'y parviendrai? Qu'à force de le répéter et de le crier, je réveillerai enfin mon propriétaire invisible? »
En prononçant ces paroles, le Gentleman malade se trémoussait dans son fauteuil, ôtait et remettait son gant à sa main gauche, me considérait avec des yeux de plus en plus égarés. Il semblait guetter, d’un moment à l’autre, quelque chose de merveilleux et d’effarant. Son visage prenait des airs d’agonisant. De temps en temps, il examinait son corps, comme s’attendant à le voir se dissoudre, et il frottait son front en sueur.
« Vous croyez bien tout ce que je vous dis là, n’est-ce pas? reprit-il. Vous sentez bien que je ne mens pas? Voulez-vous me dire pourquoi je ne puis disparaître, pourquoi je ne suis pas libre d’en finir? Serais-je un simple élément d’un rêve destiné à ne jamais s’achever? Le rêve d’un dormeur éternel, d’un rêveur éternel? »

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